En 1985, Rajendra Singh, jeune diplômé de médecine traditionnelle originaire de l’état de l’Uttar Pradesh, débarque dans le village de Kishori, au Rajasthan. Membre de l’association Tarun Bharat Sangh, il vient de quitter son emploi de fonctionnaire à Jaipur pour s’engager dans des projets solidaires.
''Je connaissais la médecine traditionnelle, alors j’ai commencé à soigner les personnes âgées. Mais au bout de six mois, elles m’ont dit : ce n’est pas de vos soins dont on a besoins. Nous avons besoin de l’eau. Sans eau, nous ne pourrons pas survivre ici.’
En effet, Kishori se trouve dans une région semi-aride qui s’est retrouvée rapidement dégradée à partir des années 1950. La vente des forêts de la région à des groupes privés a conduit une intense déforestation de la région, à laquelle s’est ajoutée une excessive captation d’eau pour l’usage agricole. Progressivement la disparition des forêts a induit une augmentation de l’érosion du sol, un dérèglement du cycle local de l’eau (réduction de la durée des moussons) et la diminution de l’infiltration de l’eau dans le sol. Les nappes phréatiques se sont épuisées, rendant obsolète les puis et sources en eau potable qu’elles alimentaient. Par conséquent, la surface cultivable s’est drastiquement réduite, causant l’exode des habitants de Kishori et de son district.
Ce sont deux habitants du village qui font découvrir à Rajendra Singh la johad, un barrage rudimentaire fait de boue et pierres permettant de collecter les eaux de pluie pendant la saison des moussons et de les faire filtrer dans le sous-sol durant la période sèche. Simple à construire, elle nécessite des terrains stables en pente et d’une saison des pluies régulière pour que le bassin puisse se remplir. Cette technique, connue depuis 1 500 av. J-C, a longtemps permis de maintenir le cycle de l’eau dans des régions arides de l’Inde.
Mais quand le gouvernement britannique a colonisé l’Inde, il a imposé un système de gestion de l’eau basé sur les grands barrages, les égouts et les canaux d’irrigation… Non entretenues, les johads existantes sont tombées à l’abandon et ont arrêté de rendre leur service. Il a fallu plus d’un an pour que Rajendra Singh, seul, parvienne à en reconstruire une à Kishori. Mais face au succès de cette première expérience, les villageois ont accepté de mettre la main à la pâte. Et les habitants des villages voisins de leur emboîter le pas, accompagnés par Tarun Bharat Sangh, l’association de Rajendra Singh.
Pour Rajendra Singh, la johad est une infrastructure pour le peuple, qui appartient au peuple. Son processus de construction et son entretien, pourtant simples, nécessitent la participation de tout un village, ce qui contribue à renforcer les liens au sein des communautés. Quant à son impact sur le cycle de l’eau, sur la couverture végétale et sur l’agriculture, il est avéré, comme le prouve entre autre cette étude d’un centre de recherche suédois.
La construction de nouveaux johads a ainsi été accompagnée d’une reforestation afin de limiter l’érosion du bassin versant, de favoriser l’infiltration de l’eau dans le sol mais aussi de réduire l’embourbement des johads.
En 2015, Rajendra Singh a reçu le Stockholm Water Prize, aussi connu comme le « Prix Nobel de l’eau », « pour ses efforts innovants en matière de réhabilitation de l’eau et d’amélioration de la fiabilité de l’eau dans l’Inde rurale, et pour avoir fait preuve d’un courage et d’une détermination extraordinaires dans sa quête d’amélioration des conditions de vie des plus nécessiteux. »