Quand on parle de droit au logement, on pense souvent aux personnes qui en sont privés et se retrouvent à la rue. Mais le mal-logement prend des formes multiples. Au Québec, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) se bat au quotidien pour faire respecter le droit à un logement digne pour tou·te·s. Lizo, envoyé par l'association Droit au Logement (DAL), a fait un bout de chemin à leurs côtés...
Mon logement m’a tué.e
Nous sommes le 8 janvier, dans un appartement de Parc-Extension, un quartier du nord de Montréal. Il est 6h du matin. Il neige. Le vent souffle dans les ruelles blanchies et s’engouffre dans la cage d’escalier du bloc. Une femme est réveillée par une quinte de toux. C’est celle de son fils mais ça aurait aussi bien pu être la sienne. Elle s’approche du lit de l’enfant et pose sa tête sur sa poitrine encore endormie. L’air circule mieux dans les rues de la ville que dans les bronches encombrées du garçon. Une image la frappe : le vent se précipite dans la pièce avec bien plus de facilité qu’il ne gonfle ces jeunes poumons.
Elle relève la tête et balaie la pièce du regard, contemplant ainsi l’étendue de sa culpabilité et de son impuissance. Un amas de serviettes colmate l’espace entre la porte d’entrée et le sol. De vieux vêtements de bébé condamnent les aérations au-dessus de la fenêtre tandis que d’épaisses couvertures tentent de contenir l’hiver à l’extérieur. Des milliers de champignons microscopiques colonisent l’unique pièce de cet appartement par les quatre coins, par la douche, par le moindre interstice.
Il y a quelques jours, le médecin lui glissait, sans oser la regarder dans les yeux : « Vous savez Madame, même malade, votre fils serait sans doute mieux à l’école ». Elle le savait déjà. Leurs corps malades, leurs yeux noircis comme ces murs qui les entourent, elle se prend à rêver que ces parois censées les protéger disparaissent, s’effondrent, n’importe quoi.
Pour du logement social maintenant !
Ces mêmes scènes se jouent chaque matin dans un grand nombre d’appartements de Montréal et d’ailleurs, dissimulées au regard de quiconque. Les stigmates physiques mais aussi psychiques causés par l’insalubrité sont des conséquences directes d’un système qui soustrait les droits aux privilèges. Pour que Lui jouisse de son 200m2 avec vue sur le Saint-Laurent, de sa Mercedes et de ses places VIP aux shows de Céline Dion, les autres doivent crever et, si possible, à petit feu.
Alors, pour contrer les conséquences de leur propre inaction, les services sociaux n’ont d’autre choix que de hiérarchiser. Qui souffre le plus selon vous ? L’homme seul qui dort sur un banc ; la famille de six qui se partage une pièce à vivre ; le couple de primo-arrivants qui squatte le canapé d’un oncle éloigné ; ce ménage qui vient de s’agrandir et se bagarre depuis des mois contre les punaises de lit ; ou cette personne en fauteuil que l’inadaptation du logement cloître chez elle des jours durant, en hiver ? « Toi, tu as l’air de t’en sortir mieux que ton voisin, reviens quand tu n’auras plus rien ».
Avoir un logement est un enjeu éminemment corporel, éminemment physique. Avoir un logement, c’est mettre une barrière entre soi et le froid, le chaud, la pluie, le vent mais aussi entre soi et les autres. Avoir un logement, c’est avoir le droit – ou devrais-je dire le luxe ? – de disparaître au monde. Mais quand quatre murs et un toit ne suffisent pas, disparaître n’est peut-être pas la meilleure solution.
Lizo - Volontaire au sein du Front d'Action Populaire en Réaménagement Urbain (FRAPRU) en lien avec l'association Droit au Logement (DAL)