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Conclusion : Zone de sacrifice ?

Extrait de ’Caimanes, l’histoire qui reste’ (c)

Quel bilan tirer de l’intervention minière à Caimanes ?

« Dans l’imaginaire collectif, fortement influencé par la communication des multinationales, les entreprises extractivistes et leurs projets d’exploitation amènent le développement économique sur les territoires où elles s’implantent, en créant des emplois, en payant des impôts, en investissant dans les infrastructures ». L’examen du cas particulier de Caimanes bat en brèche cette idée reçue, dénoncée au début de la brochure de France Libertés, Stop aux zones de sacrifice, associant extraction minière et développement et nous transporte vers la réalité de ce que signifie vivre sous occupation minière : vivre en territoire sacrifié, c’est en définitive perdre l’usage de ses ressources, de son territoire et ne plus pouvoir sortir de l’emprise de la Compagnie

 Minera Los Pelambres échoue à insuffler un moteur autonome de développement

La perte d’accès à l’eau a provoqué la disparition des principales activités agricoles de la vallée et l'économie s'est transformée en fonction des besoins de Minera Los Pelambres. Les nouveaux emplois générés par l’intervention minière sont précaires et temporaires. La plupart du temps, ils sont réservés a ceux qui soutiennent la Compagnie. Le chantage à l'emploi dans la région du Choapa permet à MLP d'étouffer les contestations et les revendications. MLP n'hésite pas non plus à mobiliser les travailleurs en sa défense lorsqu'elle se sent attaquée. Au niveau national, ce même chantage est utilisé par la compagnie pour empêcher les résolutions de justice de s’exercer. Par ailleurs, l'incapacité de ce modèle économique à exister en dehors de Minera Los Pelambres en fait un modèle fermé sur lui-même qui n’offre aucune garantie pour le futur de la communauté. 

Un dommage psychosocial indéniable

L'incertitude engendrée par les risques sur la santé liés à la pollution de l'eau et par l'éventualité d'effondrement du réservoir constitue une source d'angoisse quotidienne pour les habitants. Les espaces de loisirs et de socialisation sont marqués par les conflits et les divisions. Au lieu d'être synonymes de partage, de détente et de structurer la communauté, ils sont devenus source de différences et d’inégalités. La dégradation des relations sociales est devenue telle qu’outre les impacts sur l’environnement, le dommage psychosocial est très fortement dénoncé à Caimanes. Ce mal est de plus en plus pris au sérieux parce qu’il signifie une détérioration irréversible de la qualité de vie des habitants sur les territoires qui va jusqu’à porter atteinte à la santé mentale des personnes. De manière générale à Caimanes, on dénonce la perte de tranquillité et d'autonomie. Il est difficile de s'extraire de la présence de la Compagnie. 

Dépendance économique et logique coloniale

La constitution de ’zones de sacrifice’, dénommée ainsi parce que leur destin a été scellé lorsqu'une entreprise a choisi d'y installer un méga projet incompatible avec la vie, soumettant le territoire à sa seule activité, a-t-elle permis des avancées sociales au Chili ? Une récente étude d’économistes de l’Université du Chili montre que les profits engendrés par la production chilienne du cuivre entre 2005 et 2014 n’ont en réalité mené qu’à l’enrichissement des 10 entreprises minières les plus puissantes du Chili. Le mouvement populaire chilien réclame périodiquement la re-nationalisation du cuivre, dénonçant le fait que les gains obtenus par les multinationales ne profitent pas aux pays. La forte croissance, engendrée par l'exportation des minerais, ne s'est donc pas traduite par l'augmentation de moyens pour l'éduction ou pour la santé. Elle n'a pas n'entraîné avec elle les avancées sociales dont le pays aurait besoin.

Dans son excellent ouvrage « Extractivisme. Exploitation industrielle de la nature : logique, conséquences, résistances », la journaliste Anna Bednik replace l’extractivisme dans la continuité du modèle primo exportateur qui a caractérisé la logique coloniale et la dépendance des économies périphériques. « Près de deux siècles après s’être libérée du joug colonial, l’Amérique Latine dans son ensemble est toujours d’abord et avant tout « exportatrice de la nature » (p.46). Et selon Alberto Acosta (cité par Anna Bednik) « l’extractivisme en Amérique Latine va de pair avec la consolidation des « économies d’enclave » aux effets d’entrainement proches de zéro ». Le modèle extractiviste chilien reste profondément dépendant de la demande européeenne et asiatique et la spécialisation du pays sur le cuivre rend cette économie d'autrant plus vulnérable. 

De victimes a co-gestionnaires des risques
Témoignages d’un travailleur de MLP
6e Marche plurinationale pour l'Eau et les Territoires

Une responsabilité sociale et environnementale désengageant l’Etat chilien

Tout au long de son intervention sur le territoire, MLP a travaillé son image pour faire apparaitre sa présence sur le territoire comme la plus vertueuse possible. Cet effort, assumé au nom de sa responsabilité sociétale s’est traduit par des contributions directes de MLP aux services et aux infrastructures des provinces concernées par son projet minier et a conduit à une forte dépendance envers l'entreprise. Dans les faits, aujourd’hui, le développement de la région ne se conçoit plus sans les apports financiers de Minera Los Pelambres. Ici, un habitant de Salamanca, dans la province du Choapa encourage à faire des demandes directement à la Compagnie pour l’amélioration des infrastructures. 

Cet apport direct de la compagnie aux communes va de pair avec le désengagement de l’Etat qui laisse à l’entreprise la charge du développement des territoires dans tous les domaines. Ce rapport exercé de façon paternaliste, exclut tout choix politique autonome et implique une relation qui soumet les communautés aux intérêts de l’entreprise.

De victime à… co-gestionnaire des risques !

Que reste-t-il de ce territoire dont le destin est désormais scellé, inclus et déterminé par le réservoir de déchet minier ? Durant des années les habitants ont opposé une résistance farouche au projet et cette lutte s’est vu couronnée par la victoire de la Cour Suprême. Mais il était déjà trop tard. L’emprise de MLP était telle et les dommages avérés si irréversibles que l’ordre de justice de démolir le réservoir cessa vite d’apparaitre comme une solution viable. A quoi bon si le mal était déjà fait ? Au comble de cette crise, MLP a conçu l’ambition d’accroitre encore son projet. Pour se faire, l’entreprise a déployé une stratégie de proximité avec les habitants afin de les convaincre de se désister des demandes juridiques à son encontre. Les épisodes du processus de ’dialogue’ ont été marqués par des exercices visant à donner la sensation aux habitants d'être davantage intégrés dans le projet de l’entreprise et ses risques (visite guidée du site d’installation du réservoir, participation à la mise en place de solutions dans le cadre d'un scénario-catastrophe etc.). Des expériences valorisant la participation et l'expertise des habitants qui acceptaient de se prêter au jeu et stigmatisant tous ceux qui s’y opposaient. Une démarche qui n'était ni altruiste ni gratuite. Ce qui était tacitement demandé aux habitants en échange, c’est l’acceptation inconditionnelle des actions de MLP sur le territoire et ses risques. Cette façon d'intégrer les habitants au destin minier, propre au modèle d'inclusion défendu par l'institution Valor Minero, a aussi été expérimentée ailleurs. La sociologue Sezin Topcu analyse le cas des habitants des zones contaminées de Tchernobyl, invités après la catastrophe, à participer à la gestion des risques nucléaires durables. C’est le même type de scénario qui s'est reproduit à Caimanes (avant la catastrophe). Les habitants se prêtant au jeu sont ainsi passés de victimes à co-gestionnaires des risques. 

Quels espoirs aujourd’hui ? 

Faire valoir les droits environnementaux sur l’idéologie de la Croissance est un combat. Cela signifie s’opposer au plein pouvoir des multinationales qui, au Chili, détiennent les rênes du pouvoir.

Depuis quelques années, il y a quelques avancées significatives comme l'arrêt du projet hydroélectrique Aysen en 2012 par les mobilisations citoyennes, ou encore la fermeture définitive de la mine Pascua Lama suite à la répétition d’infractions aux clauses environnementales du permis (RCA).

Toutefois, on note aussi d’inquiétantes décisions. Après que le Conseil des Ministres a émis un refus du projet Dominga, projet minier dans la IVe région dont les impacts affecteraient de façon irrémédiable l’écosystème marin unique de Humbolt, le Tribunal environnemental vient d’émettre en avril 2018 un avis favorable au projet, qui est de ce fait remis en route. Signalons aussi qu’après des années de prise en considération des risques du méga projet de barrage d’Alto Maipo, l’autorité environnementale vient de suspendre la procédure administrative à l’encontre du projet. Cette décision a été possible en vertu d’un nouveau mécanisme permettant au Ministère de l’énergie d’accélérer et de forcer les autorisations des méga-projets par-dessus les autres considérations, quelles soient environnementales ou citoyennes. 

Un long chemin reste donc à parcourir pour mettre fin au modèle hérité de la dictature et pour faire valoir les droits des peuples sur les entreprises. Le n°18 de la Revue Passerelle revient sur les enjeux de cette lutte (p.109). Ces avancées témoignent cependant des mobilisations citoyennes contre un modèle extractiviste porteur de catastrophes et prédateur de droits. Du 20 au 28 avril 2018 s’est déroulée dans plusieurs villes du Chili la 6e marche plurinationale pour l’eau et les territoires. Les mots d’ordre étaient “Eau pour tous” et “Plus de zones de sacrifice” (#aguaparalospueblos / No más zonas de sacrificio).

Les mobilisations, les dénonciations et les appels au gouvernement pour que cesse la mise à sac des ressources représentent l’espoir de changements. Sans cette pression collective, il est peu probable que les lobbys extractivistes renoncent d’eux-mêmes à leurs bénéfices et que les politiques publiques évoluent.

Faire valoir les droits environnementaux et humains sur les logiques économiques c'est aujourd'hui ! Les droits humains ne sont pas négociables ! 

Et pour tous ceux ou toutes celles qui souhaitent soutenir la réalisation des films en cours sur et avec Caimanes, n’hésitez pas à contacter elifqolla@yahoo.com

Ressources

La France nucléaire. L’art de gouverner une technologie contestée

Cet ouvrage analyse le succès de la nucléarisation de la France en dépit de fortes résistances citoyennes. Il décrypte les stratégies gouvernementales destinées à réprimer, contourner, devancer, coopter, canaliser, dépolitiser, absorber les critiques. De la dénonciation de l’« électrofascisme » au sabotage récent des débats « bidons », en passant par le « mensonge » de Tchernobyl, il met en évidence quarante ans de rapports de force entre l’atome et ses détracteurs, en considérant non seulement les moments forts du mouvement antinucléaire mais aussi la trajectoire, le repli et le renouveau des contestations.

Droit à la communication et à l’information libre Livre

Relatos visuales, El Durazno : El poder de la convicción comunitaria

Initiative vidéo du Collectif Estela Film en collaboration avec OLCA. Ces vidéos mettent en avant la valorisation du patrimoine naturel d’El Durazno comme outil de lutte contre un barrage dans la IV région du Chili.
La trilogie réalisée par le Collectif montre qu'il est possible de gagner en revalorisant les ressources depuis les territoires et l'usage qu'en font ses habitants.

Partage durable des ressources Vidéo

Protegiendo a su Comunidad Contra la Minería y Otras Operaciones Extractivas

ELEMENTOS PARA PROTEGER A SU COMUNIDAD DE
LAS INDUSTRIAS EXTRACTIVAS

Accessibilité aux droits Documents collaboratifs

Extractivisme

L’extractivisme représente un stade superlatif, obsessionnel voire idéologique de l’activité d’extraction, par analogie avec le « productivisme » et le « consumérisme » auxquels il est d’ailleurs étroitement lié : c’est pour fournir, chaque année, plus de 70 milliards de tonnes de « ressources naturelles » diverses aux chaînes de production et de consommation de marchandises que les frontières extractives, c’est-à-dire les limites géographiques et technologiques de cette activité sur la planète, sont sans cesse repoussées par le capitalisme industriel. C’est à cet envers trop souvent occulté de la « croissance » économique qu’est consacré ce livre.

Exploitation intensive des ressources naturelles Livre

Eau bien commun. Climat, territoire, démocratie

Partage durable des ressources Documents collaboratifs








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