Une responsabilité sociale et environnementale désengageant l’Etat chilien
Tout au long de son intervention sur le territoire, MLP a travaillé son image pour faire apparaitre sa présence sur le territoire comme la plus vertueuse possible. Cet effort, assumé au nom de sa responsabilité sociétale s’est traduit par des contributions directes de MLP aux services et aux infrastructures des provinces concernées par son projet minier et a conduit à une forte dépendance envers l'entreprise. Dans les faits, aujourd’hui, le développement de la région ne se conçoit plus sans les apports financiers de Minera Los Pelambres. Ici, un habitant de Salamanca, dans la province du Choapa encourage à faire des demandes directement à la Compagnie pour l’amélioration des infrastructures.
Cet apport direct de la compagnie aux communes va de pair avec le désengagement de l’Etat qui laisse à l’entreprise la charge du développement des territoires dans tous les domaines. Ce rapport exercé de façon paternaliste, exclut tout choix politique autonome et implique une relation qui soumet les communautés aux intérêts de l’entreprise.
De victime à… co-gestionnaire des risques !
Que reste-t-il de ce territoire dont le destin est désormais scellé, inclus et déterminé par le réservoir de déchet minier ? Durant des années les habitants ont opposé une résistance farouche au projet et cette lutte s’est vu couronnée par la victoire de la Cour Suprême. Mais il était déjà trop tard. L’emprise de MLP était telle et les dommages avérés si irréversibles que l’ordre de justice de démolir le réservoir cessa vite d’apparaitre comme une solution viable. A quoi bon si le mal était déjà fait ? Au comble de cette crise, MLP a conçu l’ambition d’accroitre encore son projet. Pour se faire, l’entreprise a déployé une stratégie de proximité avec les habitants afin de les convaincre de se désister des demandes juridiques à son encontre. Les épisodes du processus de ’dialogue’ ont été marqués par des exercices visant à donner la sensation aux habitants d'être davantage intégrés dans le projet de l’entreprise et ses risques (visite guidée du site d’installation du réservoir, participation à la mise en place de solutions dans le cadre d'un scénario-catastrophe etc.). Des expériences valorisant la participation et l'expertise des habitants qui acceptaient de se prêter au jeu et stigmatisant tous ceux qui s’y opposaient. Une démarche qui n'était ni altruiste ni gratuite. Ce qui était tacitement demandé aux habitants en échange, c’est l’acceptation inconditionnelle des actions de MLP sur le territoire et ses risques. Cette façon d'intégrer les habitants au destin minier, propre au modèle d'inclusion défendu par l'institution Valor Minero, a aussi été expérimentée ailleurs. La sociologue Sezin Topcu analyse le cas des habitants des zones contaminées de Tchernobyl, invités après la catastrophe, à participer à la gestion des risques nucléaires durables. C’est le même type de scénario qui s'est reproduit à Caimanes (avant la catastrophe). Les habitants se prêtant au jeu sont ainsi passés de victimes à co-gestionnaires des risques.
Quels espoirs aujourd’hui ?
Faire valoir les droits environnementaux sur l’idéologie de la Croissance est un combat. Cela signifie s’opposer au plein pouvoir des multinationales qui, au Chili, détiennent les rênes du pouvoir.
Depuis quelques années, il y a quelques avancées significatives comme l'arrêt du projet hydroélectrique Aysen en 2012 par les mobilisations citoyennes, ou encore la fermeture définitive de la mine Pascua Lama suite à la répétition d’infractions aux clauses environnementales du permis (RCA).
Toutefois, on note aussi d’inquiétantes décisions. Après que le Conseil des Ministres a émis un refus du projet Dominga, projet minier dans la IVe région dont les impacts affecteraient de façon irrémédiable l’écosystème marin unique de Humbolt, le Tribunal environnemental vient d’émettre en avril 2018 un avis favorable au projet, qui est de ce fait remis en route. Signalons aussi qu’après des années de prise en considération des risques du méga projet de barrage d’Alto Maipo, l’autorité environnementale vient de suspendre la procédure administrative à l’encontre du projet. Cette décision a été possible en vertu d’un nouveau mécanisme permettant au Ministère de l’énergie d’accélérer et de forcer les autorisations des méga-projets par-dessus les autres considérations, quelles soient environnementales ou citoyennes.
Un long chemin reste donc à parcourir pour mettre fin au modèle hérité de la dictature et pour faire valoir les droits des peuples sur les entreprises. Le n°18 de la Revue Passerelle revient sur les enjeux de cette lutte (p.109). Ces avancées témoignent cependant des mobilisations citoyennes contre un modèle extractiviste porteur de catastrophes et prédateur de droits. Du 20 au 28 avril 2018 s’est déroulée dans plusieurs villes du Chili la 6e marche plurinationale pour l’eau et les territoires. Les mots d’ordre étaient “Eau pour tous” et “Plus de zones de sacrifice” (#aguaparalospueblos / No más zonas de sacrificio).
Les mobilisations, les dénonciations et les appels au gouvernement pour que cesse la mise à sac des ressources représentent l’espoir de changements. Sans cette pression collective, il est peu probable que les lobbys extractivistes renoncent d’eux-mêmes à leurs bénéfices et que les politiques publiques évoluent.
Faire valoir les droits environnementaux et humains sur les logiques économiques c'est aujourd'hui ! Les droits humains ne sont pas négociables !
Et pour tous ceux ou toutes celles qui souhaitent soutenir la réalisation des films en cours sur et avec Caimanes, n’hésitez pas à contacter elifqolla@yahoo.com