La seconde journée du Commonscamp était consacrée au municipalisme. Le municipalisme suscite un regain d'intérêt depuis le mouvement d'occupation des places à Madrid, Istanbul, New York, Paris (...) où les citoyens ont spontanément organisé des vastes assemblées populaires dans les espaces publics des villes pour discuter de nombreux sujets liés à la vie quotidienne et la lutte contre le néolibéralisme.
En Espagne, le mouvement des Indignés a été prolongé par la volonté de ’gagner les villes’ lors des élections municipales de 2015. Des coalitions de citoyens, partis de gauche et écologistes ont mené des campagnes et remporté plusieurs grandes villes espagnoles suscitant l'intérêt de nombreux observateurs. Des expériences similiaires ont eu lieu dans plusieurs villes du monde en France, en Italie, en Belgique, au Etats-Unis, au Chili...
La mise en réseau de toutes ces expériences a commencé lors du sommet municipaliste “Fearless Cities” qui a rassemblé plusieurs centaines de participants en 2017 à Barcelone. Cette initiative a eu un impact important ce qui a amplifié la diffusion du récit municipaliste dans une multitude de contextes. Si le mouvement d'occupation des places en général, et les expériences espagnoles en particulier, ont beaucoup contribué à remettre le municipalisme au goût du jour, nous allons voir que ce mode d’organisation n'est pas nouveau.
Qu'est-ce que le municipalisme ?
Le municipalisme est une forme d’organisation politique historique et démocratique à l’échelle municipale basée sur la reconnaissance des libertés locales et la défense d'une autonomie vis à vis des Etats.
Cette tradition d'organisation politique trouve sa source dans une multitude d’expériences historiques. A l’époque antique, l’expérience de la cité athénienne est l’une des plus remarquables. Elle est au fondement de la démocratie. Du XIe et XIIIe siècle, l’essor urbain sur le continent européen s’est aussi accompagné de nouvelles libertés locales pour les villes. Au Pays-Bas, à partir du XVIe siècle, les villes sont devenus des entités puissantes, fédérées et gérées avec certains degrés de démocratie. Durant la révolution française, des insurrections créent des instances municipales démocratiques. En 1792, les sections insurrectionnelles sont allées jusqu’à proclamer la première commune de Paris !
Ces expériences historiques ont en commun la reconnaissance des libertés dans les villes et la défense d'une autonomie des communes par rapport aux États. Si l'émergence des démocraties libérales au XIXe siècle a consacré l'idée d'Etat-nation, les citoyens n'ont jamais cessé de s'organiser à l'échelle municipale aboutissant à l'émergence de diverses traditions muncipalistes :
- Le communalisme est un courant municipaliste révolutionnaire théorisé à partir du XIXe siècle. Les cercles anarchistes réfléchissent à l'antagonisme entre les villes et les Etats. Pierre Kropotkine va alors approfondir les bases théoriques d’une société basée sur les communes. La Commune de Paris en 1871 et révolution de 1936 à Barcelone ont formé le point culminant de cette tendance communaliste.
- Le municipalisme libéral est une forme de gouvernement basée sur les principes du libéralisme politique. Il se traduit notamment par la mise en place d’élections pour fonder un système représentatif local. Il tire son origine dans les cercles libéraux qui vont reformuler la question communale et son rapport à l'Etat. On estime aujourd'hui que des élections locales démocratiques sont organisées, de façon plus ou moins libres, dans une centaine d'Etats.
- Le socialisme municipal est l’une des plus importantes tendances du municipalisme. Ancrés dans la tradition révolutionnaire, des penseurs socialistes ont peu à peu esquissé une tendance réformiste. Ils ont défendu une transformation progressive de la société en mettant en œuvre des réalisations concrètes pour améliorer les conditions sociales des habitants dans les villes (régies municipales, logements sociaux...).
- L'intermunicipalisme (ou municipalisme institutionnel) est un courant qui vise à renforcer le pouvoir des Villes par la mise en place d'une organisation inter-localiste et supra-étatique. Cette idée émerge au début du XXe siècle en Belgique, au Pays-Bas et en France à travers la mise en place de réseaux d'échanges au-delà des Etats. Une Union internationale des Villes (UIV) est créée en 1913 à Gand par les militants pacifistes Paul Otlet et Emile Vinck, puis, après la seconde guerre mondiale, la fédération mondiale des citées unies (FMCU). Le courant inter-municipaliste sera unifié en 2004 à travers Cités et Gouvernements locaux unis (CGLU) qui a son siège à Barcelone.
- Le municipalisme libertaire est théorisé dans les années 1970 sous la plume de Murray Boockchin. Cet auteur américain voulait ressusciter la politique en étendant la démocratie directe pour que les citoyens prennent les décisions relatives à leur communauté et à la société dans son ensemble. La théorie du municipalisme libertaire renoue avec la tradition révolutionnaire de Proudhon et Kropotkine. Si Murray Bookchin n'excluait pas la participation aux élections locales, il inscrivait clairement le municipalisme libertaire comme une antithèse de l’État.
Le programme de la journée
La seconde journée du Commonscamp a rassemblé une centaine de personnes. Les enjeux de la journée étaient de faire connaître le municipalisme aux participants. D'où vient le municipalisme ? Quelles politiques publiques alternatives promouvoir dans le cadre d’une démarche municipaliste ? Qu’apprenons-nous du terrain ? Quelle mise en réseau entre les multiples dynamiques en cours ? Quel écosystème pour que les initiatives citoyennes puissent s'épanouir ?
La journée a été divisée en deux parties : un partage d’expériences sur les atouts et limites des pratiques municipalistes actuelles (étape 6) et la définition d’un agenda commun pour les années à venir, en particulier la mise en place d’expérimentations dans plusieurs villes françaises dans la perspective des élections municipales (étape 7).
Au début de la journée, deux membres actifs des réseaux municipalistes avaient préparé un texte qui a été lu à haute voix aux participants. Ce texte montre bien les convergences entre les communs, le municipalisme et le droit à la ville. Voici quelques extraits :
« Dans la tradition théâtrale grecque, la coutume était de mettre en scène un personnage principal, auquel pourra s’identifier le public, et portant la thèse du Bien, le Protagoniste, pour lui opposer l’Antagoniste, représentant le Mal.
Le système politique actuel, basé sur l’élection, repose sur ce bipartisme manichéen : on choisit le Protagoniste de l’histoire, on lui laisse les clés de la boutique, et on va se recoucher pour 5 ans.
Notre choix s’arrêtera sur un joli sourire, un argument qui touche, ou une posture idéologique.
Et c’est seulement après coup, une fois établi le compte des promesses non tenues, qu’on se rend compte qu’à peu de choses près, c’est toujours la même politique qui est engagée, ce qui renforce le sentiment d’impuissance des populations, hissant les affaires de la Cité commune à un niveau sidéral, hors de portée de chacun.
Pendant ce temps, sur la table, ce sont la survie des espèces et l’évolution du monde que nous jouons à l’aveugle. Pour sortir de ce piège qui s’avère de plus en plus mortifère, se parler entre voisins est sans aucun doute la chose la plus urgente et la plus sensée à faire !
Interroger la question du pouvoir ? Doit-on prendre celui de l’Etat pour transformer la société, là-même où tant de tentatives ont échoué ? Ou plutôt faut-il le reconstruire à partir des gens qui partagent un territoire, partir du local pour fédérer, mettre en lien, en prenant le temps de se rencontrer, de construire, au sein d’assemblées et de confluences locales.
C’est en partant de la dynamique des communs, en s’inspirant des travaux qui ont menés au Droit à la Ville, qu’on en arrive à une posture ne visant pas à prendre le pouvoir sur la ville mais à reprendre nos pouvoirs sur la vie, en partant d’une vision radicale de la démocratie, celle du “face à face” (Murray Bookchin), une démocratie ancrée dans le quotidien.
Le Municipalisme, c’est sans doute une des formes possibles de l’adage altermondialiste “penser global, agir local” parce qu'il se base sur le refus de la fatalité du néolibéralisme et de ses conséquences concrètes sur les territoires et expérimente de la citoyenneté de résidence et les villes d’accueil, à la définanciarisaton du logement, en passant par la relocalisation des économies, la gestion partagée des biens communs, la féminisation de la
politique.
(Extrait d'un texte lu par Didier Fradin et Magali Fricaudet en introduction de la journée sur le municipalisme)