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S’organiser dans les quartiers populaires

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Si Henri Lefebvre a théorisé le Droit à la ville, celui-ci n'a pas indiqué comment le mettre en pratique. Depuis une cinquantaine d'années, des mouvements agissent pour réaliser le Droit à la ville. Comme lors des précédentes journées, nous sommes partis des pratiques concrètes en donnant la parole aux acteurs de terrain.

Les mouvement et les collectifs naissent souvent d'événements spécifiques ou de projets imposés. Ces mouvements vont alors se structurer autour d'une longue pratique de terrain qui nécessite des méthodes et souvent de l'acccompagnement.

Les présentations ont été structurées en trois temps : éclairages sur la mobilisation, réflexions sur les modes d'actions et questionnements autour des enjeux de négociations avec les institutions.

Le collectif Schuman à Melun

Situé sur la commune de Melun, le quartier de Schuman est habité par 800 habitants qui vivent dans 200 logements sociaux. Adil du collectif Schuman nous a présenté les actions menées dans ce quartier :

Le projet urbain de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) avait décidé de démolir des logements. La majorité des habitants se sont opposés aux démolitions. En juin 2017, la population s'est fortement mobilisée à l'occasion d'une réunion qui a rassemblé 200 à 300 participants. Il y avait une vraie diversité : des parents, des jeunes, des hommes et des femmes. Au cours de la réunion, les élus ont quitté leurs chaises un à un. A la fin, il ne restait plus que le maire et les habitants ! Suite à cette rencontre, l'édile a lancé des réunions avec les conseils citoyens. 4 habitants de notre collectif y assistait. La mairie a alors proposé 3 scénarios qui intégraient tous la démolition entière ou partielle du quartier alors que nos représentants ne voulaient pas de démolition. On a tout de suite réagit en mettant deux grandes banderoles sur les logements concernés où il était inscrit « non aux démolitions, oui aux réhabilitations ». Nous avons organisé une réunion publique, avec la presse locale. On a toujours maintenu le dialogue. Notre point fort a été d'occuper le terrain en organisant un barbecue mensuel pour fédérer le maximum d'habitants. Nous avons également fait de la pédagogie lors des ateliers ANRU et on s'est rendu compte des compétences qui nous manquaient. Heureusement, la coordination Pas Sans Nous a joué un rôle important à ce niveau là.

Cet exemple montre que la mobilisation des habitants suscitée par un projet urbain imposé a ouvert des négociations avec les institutions. La plupart des mouvements pour le Droit à la ville trouvent leurs sources dans des luttes similaires puis ont ensuite élargi leurs actions.

Mobilisation permanente à Angers

Djamel Blanchard a exposé l'expérience de son collectif qui lutte dans le quartier prioritaire de la Roseraie à Angers. 

La mobilisation des habitants commence souvent par une situation concrète. Les habitants de ces quartiers ressentent un sentiment de relégation urbaine qui est visible par le manque de services publics ou le manque d'investissements dans les établissements scolaires. Nous partons des ressentis et des injustices, en particulier de population « racisée ». Nous avons ensuite essayé de mettre en commun les injustices et de soutenir l'organisation des habitants. Il s'agit d'essayer de réinventer une nouvelle façon de vivre dans la ville, de parler de leur situation pour la faire reconnaitre puis d'agir sur cette situation. « On mène par exempe des actions de désobéissance civile pour occuper un lieu et un travail sur les transports publics ».

Djamel Blanchard a également participé à la mise en place des tables de quartier à Angers.

Les Tables de quartier d'Angers, hors expérimentation, ont été initiées d'abord par la déception de ne disposer d'aucun moyen d'expression en temps qu'habitant-e-s, même collectivement, dans les réunions publiques et dans les lieux de décisions des politiques publiques. La déception des méthodes de formation des Conseils citoyens descendantes ainsi que, dans ce cadre, le jeux de pouvoir des institutions allié à une volonté de recherche de caution et d'alibi de politiques publiques pour nos quartiers beaucoup plus que de vraie recherche de coopération et d'intégration, a définitivement institué l'essai d'un nouvel espace de réunions innovantes et de rencontres réconciliantes par et entre les habitant-e-s de nos quartiers.

L'exemple offert par Djamel de la coordination Pas Sans Nous montre la nécessité de maintenir la participation dans le temps sans dépendre des dispositifs de démocratie participative. Cette expérience correspond bien avec l'idée de la ’participation effective et permanente des habitants’ et ’l'autogestion’ formulée par Henri Lefebvre dans le Droit à la ville. Comme nous allons le voir, pour éviter un essouflement des initiatives, il est nécessaire de soutenir les mobilisations par des méthodes d'organisation.

Les méthodes d'organisation à Grenoble

Depuis plusieurs années, des organisations grenobloises tentent de renouveler et d'approfondir les méthodes d'organisation des habitants. A travers l'expérimentation des méthodes du ’community organizing’ et de ’l'advocacy planning’ ces initiatives approfondissent la question de la mise en oeuvre du Droit à la Ville.

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Adrien Roux a présenté l'expérience de l'Alliance Citoyenne de Grenoble dont les méthodes de mobilisation s'inspire du ’community organizing’ théorisé par le sociologue Saul Alinsky.

La mobilisation commence à partir des situations concrètes vécues par les habitants et notamment de leurs colères.

Les injustices sont partout dans la ville. La clef de la mobilisation c'est l’organisation. Pour cela, il faut aller vers les gens, créer des relations, faire du porte à porte. L'objectif du community organizing est de construire un syndicat tout terrain à l'échelle de la ville. (...)

Les méthodes du community organizing se basent sur le développement du leadership et le développement du pouvoir d'agir (empowerment).

Le leadership est un moteur de la dynamique collective. Il s'agit de transmettre les capacités d'agir et le développement du pouvoir d'agir des individus et des communautés. Dans l’action, nous partageons avec les leaders la responsabilité de démocratiser les prises de décisions dans leurs communautés ou dans des groupes qui ont été créés au fur et à mesure du projet. Il était également important de les impliquer pourfaire naître d’autres leaders afin que les groupes perdurent dans le temps (extrait du livret ECHO, 2012)

Regroupés au sein d'une organisation les habitants mènent ensuite des actions de terrain ciblés sur les décideurs.

L'objectif est de créer des campagnes qui défendent les intérêts des habitants et permettent d'ouvrir des négociations. Dans les cas des rénovations urbaines, il s'agit d'opération qui sont longues et technocratique. Il est nécessaire d'avoir des campagnes qui passent à l‘action rapidement pour obtenir des résultats concrêts.

A partir de 2012, l'association Planning a cherché à compléter les méthodes du community organizing par celle de l'advocacy planning théorisé aux Etats-Unis par Paul Davidoff. Cette expérimentation a aboutit à la création de l'Atelier Populaire d'Urbanisme (APU).

À la Villeneuve de Grenoble, des habitants ont construit un projet urbain alternatif face à une rénovation urbaine autoritaire menée par l'Etat. Un atelier populaire d'urbanisme a été organisé pour définir les grands axes du projet : habitat, éducation, environnement, démocratie et économie. Il s'agit de co-construire un nouveau projet urbain qui respectent les intérêts des habitants. 

Ces expériences montrent l'importance des méthodes d'organisation des habitants dans la mise en oeuvre du Droit à la Ville. Elles montrent notamment l'importance de l'action des habitants et l'accompagnement pour imaginer une autre manière d'aménager l'espace.

Un appuii technique aux habitants à Fresnes

L’action de facilitation que mène Appuii auprès de collectifs d’habitant·e·s peut se décliner selon quatre modalités : appui technique ; appui stratégique ; appui juridique ; appui à la mobilisation sociale. Maxime et Romain ont présenté l'expérience mené dans le quartier des Groux à Fresnes (Val de marne).

Il s’agit d’un quartier de 200 logements sociaux vendus par la Mairie de Paris au bailleur du département et promis par cet acte de vente à une démolition totale sans aucune concertation. Afin de se défendre, une association de locataires s’est constituée en 2015 et a sollicité Appuii l’année suivante par l’intermédiaire d’un résident de la commune, lui-même architecte, pour l’accompagner dans sa lutte pour obtenir une place dans le futur projet urbain.

Appuii assure en premier lieu un appui technique d’un point de vue urbain et architectural. De l’analyse à la vulgarisation des enjeux et du projet urbain, l’association décrypte avec les habitant·e·s les différents documents d’urbanisme qui concernent le quartier. Puis, dans une seconde phase, s’élabore une coconstruction d’un projet alternatif à celui énoncé par le bailleur et ce, grâce à l’accès à l’information et aux connaissances précédemment effectuées et aux différents supports (maquette, étude sur la vacance, relevés habités, diagnostics du bâti…) développés en amont. Elle prend ensuite forme par le biais d’ateliers et de séances de travail réalisés avec le plus grand nombre possible d’habitant·e·s, en élargissant le cercle à partir de ceux et celles avec qui un lien s’est tissé au fur et à mesure des actions précédentes.

Ensuite, l’association apporte un appui stratégique par sa fonction de mise en réseau avec d’autres collectifs. Que ce soit directement avec des résident·e·s d’autres quartiers populaires ou avec des membres de l’association ayant l’expérience de plusieurs programmes de rénovation urbaine, Appuii joue un rôle de conseil dans les différentes stratégies possibles et un rôle d’intermédiation dans les relations avec les institutions. Des réunions sont organisées pour préparer des rendez-vous clés, puis en aval pour les « débriefer ».

Pour finir, il est souvent demandé à l’association de compléter son action par un soutien juridique (accompagnement d’une démarche de saisie de la Commission d’accès aux documents administratifs, étude sur les recours envisageables…) et un appui à la mobilisation locale (co-organisation d’événements publics, animation socio-éducative ponctuelle, porte-à-porte…). En fin de compte, la spécificité du mode de fonctionnement d’Appuii tient à la multiplication et la superposition des types d’appuis possibles, combinées à une méthode d’engagement qui s’apparente à de l’advocacy planning ou « urbanisme d’interpellation et de plaidoyer [7] ». Adoptant un principe de codécision avec les associations locales, Appuii revendique par ricochet une non-substitution à la parole et aux actions des principaux concernés, qui sont ceux pour qui la référence au droit à la ville fait sens.

Conclusion

Ces quatre exemples montrent la réappropriation des enjeux urbains par des habitants des quartiers populaires français. Ces présentations ont été complétées par des témoignages de Barcelone ou Naples où les organisations revendiquent également le Droit à la Ville pour faire face aux phénomènes de gentrification ou touristification. Comme nous allons le voir dans la prochaine étape, la mise en réseau de toutes ces expériences et l'organisation de campagnes communes est un enjeu central pour l'émergence d'un nouvel urbanisme et la réalisation du Droit à la Ville.

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