Pour comprendre la résurgence des violences intercommunautaires en Birmanie et les multiples vagues d'exactions à l'encontre de la minorité musulmane des Rohingyas, il est nécessaire de revenir sur le passé de cette région, notamment durant la colonisation, puis lors du processus d'indépendance de l'Etat birman.
Comment les musulmans d’Arakan sont-ils devenus étrangers à l’Arakan ? s'interroge Alexandra de Mersan, anthropologue et maître de conférence à l'Inalco, dans un article publié par la revue de recherches en sciences sociales sur l'Asie du Sud-Est, Mousson.
Les notions de race et de nation ont joué un rôle clef en Birmanie, notamment dans l’Arakan (ou Rakine), où vivent celles et ceux que l'on nomme aujourd'hui ’Rohingyas’. ’Les musulmans d’Arakan (ou kala suivant le terme vernaculaire) ont progressivement été marginalisés dans l’espace social birman au point d’incarner une, si ce n’est la, figure de l’étranger dans la Birmanie contemporaine’, explique Alexandra de Mersan. Les violences actuelles découlent ainsi d'un long ’processus de différenciation des populations, à l’issue duquel la race (définie par des critères de langue et de religion) devient une dimension décisive de l’espace national birman’.
Dans un article du CERI, ’Birmanie : violences et apartheid contre les Rohingyas’, Renaud Egreteau, chercheur en Sciences politiques, souligne que les exactions dont sont victimes les Rohingyas, depuis des décennies, ’reflètent les préjugés xénophobes de la majorité de la population à l’égard de cette minorité musulmane. Et, plus profondément, la persistance d’une conception raciale de la nation en Birmanie’.
Des heurts semblables à ceux survenus récemment ont eu lieu à plusieurs reprises en Birmanie, détaille encore Alexandra de Mersan, dans un second article publié sur le site The Conversation, intitulé ’Retour en Arakan ou comprendre la lente exclusion des Rohingyas’. 1978, 1991-92, 2012-13, 2016... autant d'années qui ont été marquées par des flambées de violences à l'égard des Rohingyas. A ces éruptions de violences s'ajoutent une série de faits politiques excluant progressivement les Rohingyas de la vie publique birmane, de l’absence de reconnaissance de minorité religieuse dans la constitution de 1947 au durcissement de loi sur la citoyenneté en 1982 faisant des Rohingyas des apatrides.