La population africaine devrait doubler d’ici 2050 pour atteindre 2,5 milliards d’habitants. La question de la sécurité alimentaire sur le continent se pose plus que jamais.
Bien que ce soit l’agriculture familiale qui assure jusqu’à présent l’alimentation des pays en voie de développement (à 80%), les pays du Nord y voient une formidable opportunité, à la fois pour imposer leur modèle agro-industriel, et développer de nouveaux marchés pour la vente d’intrants chimiques (pesticides et engrais de synthèse).
Comment cela se manifeste t-il ?
Pour profiter de cette manne financière, les pays du Nord investissent massivement en Afrique pour convaincre Etats et paysans du bien-fondé de leur modèle : agriculture intensive, monoculture, mécanisation, recours massif aux intrants chimiques.
Parmi, les initiatives les plus actives on trouve l’AGRA (Alliance pour une Révolution Verte en Afrique), financée à hauteur de dizaines de millions de dollars par la Fondation Rockefeller et la Fondation de Bill et Melinda Gates. L’institution se targue d’aider les paysans africains à augmenter leur production et accroître leur revenu. En réalité, l’AGRA ne reconnaît pas la diversité de l’agriculture africaine et incite les producteurs à abandonner les cultures traditionnelles, au profit de quelques cultures telles que le maïs ou le riz.
L’objectif de l’AGRA et des industriels du secteur est de vendre aux agriculteurs un paquet technique comprenant semences commerciales, engrais chimiques et pesticides associés, les rendant ainsi dépendants de l’utilisation de ces produits. Un cercle vicieux apparaît : la monoculture à partir de semences commerciales (hybrides, voire OGM), couplée à l’utilisation d’engrais de synthèse appauvrit les sols et fragilise les plantes. Pour y pallier, l’utilisation de nouveaux pesticides chimiques est recommandée, les doses d’engrais chimiques nécessaires augmentent, et beaucoup de paysans finissent surendettés.
Dix ans après son lancement, l’AGRA n’a pas atteint ses objectifs en matière de sécurité alimentaire dans les 13 pays ciblés, bien au contraire :
- Plutôt que les petits agriculteurs, l’AGRA a ciblé les élites politiques locales et les détenteurs de grandes exploitations ;
- Plutôt que les rendements, ce sont les surfaces cultivées de certaines denrées ciblées qui ont augmenté, et ce au détriment d’autres cultures. Cela a conduit à la perte de biodiversité cultivée, de résilience des systèmes et de qualité nutritionnelle de la nourriture ;
- La population en situation d’insécurité alimentaire grave a augmenté de 30 % sur la durée du programme au sein des 13 pays ciblés ;
- Des abus ont été constatés, comme au Rwanda, où les agriculteurs écopaient d’une amende s’ils refusaient de planter les semences promues par l’AGRA, et étaient contraints d’utiliser des engrais chimiques lourdement subventionnés ;
- Bien que l’AGRA cible l’Afrique, près de la moitié du budget finance des organisations basées aux Etats-Unis. Les gouvernements africains ont quant à eux contribué à hauteur d’un milliard de dollars par an.
En dix ans après son lancement, l’agriculture industrielle s’est diffusée dans dix nouveaux pays d’Afrique, sans augmentation des rendements ni résolution des problèmes de faim et de pauvreté, qui se sont parfois renforcés. L’approche top-down et technocratique et les rapports de forces extrêmement déséquilibrés avec les agriculteurs s’est soldée par un échec cuisant.
Quelles sont les conséquences sanitaires ?
Afin de promouvoir leur modèle, les industriels font du lobbying auprès des gouvernements ou achètent des distributeurs locaux afin de former, sur le terrain, les paysans à l’utilisation de leurs produits. Les conséquences de l’utilisation de ces intrants sont pourtant alarmantes et déjà largement remises en question pour leur toxicité sur les humains, agriculteurs en première ligne et l’environnement,en particulier les pollinisateurs.
Selon l’ONU, plus de 200 000 personnes meurent chaque année dans les pays en développement suite à une intoxication aux pesticides. Cependant ce chiffre est probablement sous-estimé car la grande majorité des cas d’intoxication aux pesticides n’est pas rapportée. Les paysannes et paysans restent les principales victimes d’autant plus que la majorité d’entre eux ne disposent pas de l’équipement de protection nécessaire à l'épandage de ces produits. Pire, une partie des pesticides vendu à l’Afrique par l’Europe est interdite sur le vieux continent en raison des risques qu’ils représentent pour la santé humaine et la biodiversité. En 2018, les pays de l’Union européenne ont approuvé l’exportation de près de 82 tonnes de pesticides interdits dans leurs champs. Ces exportations étaient destinées à 85 pays dont les trois-quarts sont des pays émergents ou en développement.
Exportation de pesticides interdits depuis l’UE. Source : Public Eye, 2018 (c)
Les pays du Nord pointés du doigt
En juillet 2020, les Nations Unies ont appelé l’UE à mettre fin à cette pratique. Le sujet est sur la table mais résistera-t-il aux pressions des lobbyistes et des fabricants ?
En France, une telle interdiction entrera en vigueur en 2022. Ironie du sort, ces pesticides interdits en UE mais exportés vers le reste du monde sont utilisés sur des produits agricoles destinés à être vendus en Europe. Des résidus se retrouvent in fine dans l’assiette des consommateurs européens.
Soutenir les alternatives
L’agroécologie paysanne présente de nombreuses alternatives aux intrants de synthèse, bien plus adaptées aux réalités locales, aux enjeux de protection des sols et de la biodiversité, ainsi qu'aux enjeux sanitaires. En plus de sortir les agriculteurs d’une relation de dépendance aux grandes multinationales, elle répond à l’objectif d’augmentation des productions grâce à la diversification des cultures, usage de semences résilientes, et recours aux interactions avec la biodiversité naturelle (prédateurs naturels, plantes associées, etc.).