Aujourd’hui, alors que le nombre de bovins par habitant est égal à celui de l’UE, l’écrasante majorité du lait consommé en Afrique est du lait en poudre importé. Au Sénégal par exemple, le lait en poudre représente 84 % des importations de lait (source : Le Monde). Ce lait en poudre est issu principalement des surproductions européennes qui représentent 63 % des importations laitières d’Afrique de l’Ouest (source : Jokkoo, Douanes).
Pourquoi du lait en poudre ?
D'abord parce qu’il est plus facile à stocker, conserver et transporter. Ensuite parce que les processus actuels de production du lait en poudre sont compatibles avec la production de beurre, très rentable pour les multinationales.
Le beurre et l’argent du beurre
La demande mondiale de beurre s’est accrue fortement, augmentant considérablement le prix de ce produit sur les marchés mondiaux : le prix pour 100 kg de beurre est passé de 300€ en 2003 à près de 700€ en 2018 (source : GRET). Cette envolée des prix a attiré les industriels sur ce segment de marché et a abouti à une surproduction de lait écrémé (il faut 20 litres de lait pour faire un kilo de beurre), en particulier en Europe. Après retrait de la crème destinée à la fabrication du beurre, le lait écrémé est transformé en poudre. Pour valoriser ces excédents de matières protéiques, un processus de ré-engraissage avec l’ajout de matières grasses végétales (MGV) s’est développé avec une forte accélération et la recherche de débouchés à l’international ces dernières années...
La suppression des quotas laitiers en 2015 a aggravé ce déséquilibre, élevant alors la production mondiale à 818 millions de tonnes de lait (source : Gret). Les éleveurs européens, qui représentent 33% de la production mondiale, ont été incités à produire plus de lait, entraînant ainsi une baisse des prix considérable de ce produit sur les marchés. La surproduction a obligé les producteurs à brader leurs productions aux industriels. Les grosses firmes laitières (Danone, Lactalis, FrieslandCampina, etc.) profitent ainsi de la suppression des quotas pour se faire d’importantes marges, au dépend des éleveuses et éleveurs européens qui n’ont évidemment pas vu leurs revenus augmenter proportionnellement à l’augmentation de leur production et aux dépens du lait local en Afrique de l’Ouest.
Le marché ouest-africain représente pour le moment 11% des exportations de poudre écrémée de l'UE, 35% pour la poudre réengraissée à l'huile végétale, et la croissance est forte. La plus grande part des importations provient des Pays-Bas, de Pologne, de Belgique, et de France (source : Eurostat, 2018). L'Afrique de l'Ouest importe également, en bien moindre quantité, de la poudre de lait d'Argentine et de Nouvelle-Zélande. Sur le marché en plein boom du lait réengraissé avec de l'huile végétale, 66% des stocks qui arrivent en Afrique de l'Ouest proviennent de l'UE.
Certains parlent de faux lait car le mélange poudre écrémée - huile végétale n’a plus grand chose à voir avec du lait : c’est un produit ultra transformé aux propriétés nutritionnelles mal connues.
Les éleveuses et éleveurs ouest-africains ne peuvent pas rivaliser avec les prix du lait en poudre, en moyenne deux fois moins cher que le lait local collecté (source : Cirad, 2020). Cet important différentiel de prix est en partie dû à la difficulté de collecte et de conservation du lait local, dans des pays où les distances entre les intermédiaires de la filière sont longues à parcourir. Cela incite les laiteries ouest-africaines à transformer le lait en poudre importé plutôt que le lait produit localement et décourage les investissements nécessaires pour rendre le lait local plus accessible.
Les 40 millions d’éleveuses et éleveurs ne sont pas incités à produire davantage de lait alors même qu’ils sont parmi les catégories les plus pauvres des populations ouest-africaines. D’une part, leur implantation en zone rurale complique l’accès aux consommateurs urbains. D’autre part, les exploitations africaines étant majoritairement de petites exploitations familiales, l’offre est atomisée, ce qui renchérit les coûts de collecte.
’Le manque de connexion entre familles d’éleveur.ses et laiteries est un frein à la construction de filières locales, ce qui conduit le lait importé à prendre de plus en plus de place dans la consommation des ménages sénégalais. En effet, ces pays ouest-africains connaissent une forte urbanisation, les villes sont de plus en plus peuplées et les populations urbaines n’ont pas un accès direct aux producteurs de lait.’
Le marketing sur la poudre de lait cible en grande partie l’alimentation des enfants en délivrant de fausses informations. La teneur en calcium est mise en avant pour montrer les bienfaits qu’aurait le lait en poudre pour les plus jeunes. Et c’est là tout l’enjeu : il faudrait au contraire informer la population sur les méfaits des produits ultra-transformés et réglementer les politiques de marketing des multinationales pour plus de transparence. Qui plus est, on ne peut nier les effets désastreux de la production à très grande échelle d’huile de palme en Asie, responsable de la destruction des forêts.
L’explosion démographique en Afrique rend d’autant plus urgente la nécessité de développer des filières locales, qu’il s’agisse du lait ou d’autres produits.
Crises sanitaires et effet boule de neige
Au début de la crise sanitaire qui a touché le monde entier en 2020, on a constaté une intensification de ce cercle vicieux (surproduction européenne>enrichissement des grandes firmes>vente de lait en poudre en Afrique de l’Ouest). Faute de pouvoir acheminer leur production et du fait d’une forte baisse de la demande au début des confinements instaurés par les gouvernements européens, les producteurs laitiers ont été contraints de stocker leur lait et d’écouler leur production à bas prix.
La reconquête de l’autonomie par le soutien aux productrices et producteurs de lait local
Il faut promouvoir les laiteries qui utilisent du lait local et inciter les autres à le faire, à l’image de la campagne ouest-africaine “Mon lait est local”.
Au Sénégal par exemple, bien que le pays s’approvisionne encore aujourd’hui principalement grâce aux importations, cette prise de conscience a conduit l’Etat en 2018 à exonérer de TVA le lait pasteurisé produit à base de lait local. Revoir à la hausse le Tarif extérieur commun (Tec) sur la poudre de lait importée est une autre piste mais sans un changement radical de nos systèmes agricoles, cela priverait de lait un grand nombre de ménages urbains ouest-africains (le lait local en ville n’étant pas accessible à la majorité des consommateurs). La solution passe par la promotion des filières laitières locales et un soutien accru aux paysans éleveurs locaux.