Une décision de justice rendue caduque par une conciliation
L'examen de l'histoire juridique de Minera Los Pelambres montre que les agissements de l'entreprise, au Chili (et ailleurs), ont été maintes fois remis en question par la justice chilienne (et argentine). A Caimanes, l’activité du réservoir a failli être paralysée à deux reprises par des actions de justice gagnées par la communauté.
Dès le départ, la communauté cherche à stopper la construction du réservoir de déchets miniers par des actions juridiques. En 2006, elle gagne un recours aboutissant à l’annulation du permis du réservoir. Mais cette victoire n'entraîne pourtant pas l'arrêt du projet. Selon l’avocat de l’époque, il aurait été nécessaire d’engager un autre procès pour en stopper la construction. Ce temps incertain, entre victoire juridique et non effectivité pratique, désarçonne la résistance. C’est dans ce contexte, alors que le réservoir est déjà presque terminé et prêt à fonctionner, que se déroule en 2008 une conciliation entre quelques dirigeants, les avocats et MLP. Cette conciliation est secrète : la communauté n’a été ni consultée ni même informée des termes d’un accord qui va pourtant sceller le destin de Caimanes. En échange de 25 millions de dollars répartis entre un agriculteur, détenant les droits des ressources en eau, une poignée de dirigeants de la communauté et les avocats de l’époque, le recours juridique est retiré. Minera Los Pelambres peut alors continuer son projet. L'entreprise est parvenue à faire annuler la décision de justice à son encontre via cet accord financier.
L’ordre de la Cour Suprême de “restitution du cours naturel des eaux” : victoire d’une ampleur sans précédent au Chili
Des années plus tard, en 2014, la communauté a de nouveau été victorieuse devant la justice avec une décision inattendue. La Cour Suprême semblait avoir entendu la voix des victimes, en ordonnant à l’entreprise de “restituer le cours naturel de l’eau dépourvu de pollution du réservoir (…) avec obligation de présenter sous un mois un plan d’action à cet effet. Dans le cas contraire, MLP devra démolir le réservoir de déchet”. C’est pour exiger le respect de cette décision que la communauté de Caimanes s'est mobilisée durant 75 jours, bloquant la route d’accès au réservoir de déchets.
En mars 2015, le Tribunal détermine que le plan présenté par MLP est insuffisant : il n’est pas apte à assurer la restitution du cours naturel des eaux. MLP reçoit donc l‘ordre de démolir le réservoir. Antofagasta Minerals enchaîne alors les déclarations à l’encontre des juges, les taxant d’irresponsables et dénonçant la mise en danger des investissements miniers, piliers du modèle chilien.
La conciliation devient la stratégie officielle des entreprises minières pour éviter les conflits
Derrière l’inquiétude du secteur minier, il y a une réalité : le contexte du Chili en 2015 n’est plus celui de 2008. Les communautés subissent des impacts de plus en plus importants de projets miniers et se mobilisent. Nombre d’entre elles ont engagé des recours juridiques contre les entreprises. Pour faire face à ces conflits de manière plus « démocratique », de grands groupes miniers ont créé en 2013 une institution public-privé, sous l’égide de personnalités politiques comme Ricardo Lagos et de ministres du gouvernement. L’objectif de cette institution, appelée Valor Minero, est de réhabiliter l’image des mines sur le territoire sous la marque VIS (« verte, inclusive et sociale »). Valor Minero s’affiche comme une organisation visant, entre autres, à rapprocher l’extractivisme des territoires pour mieux intégrer les habitants et leurs spécificités dans les projets de développement minier.
Le dialogue entre MLP et les habitants de Caimanes : une conciliation entachée d’irrégularités
Le processus de dialogue qui s'est réalisé entre septembre et décembre 2015 s’inscrit dans cette tentative de conciliation avec les acteurs du territoire. A Caimanes, l'entreprise affirme que « la période conflictuelle est révolue et qu’aujourd’hui Minera Los Pelambres et la communauté vont initier un processus de dialogue et d’entente ». MLP répète à maintes reprises qu’en aucun cas elle ne s’opposera à une décision de justice et ne tentera d’éviter les ordres de la Cour Suprême. Selon elle, il s’agit simplement et raisonnablement de « se concerter mutuellement pour étudier ensemble la forme de restitution de l’eau et la sécurisation de la communauté ». Les faits qui ont suivi démentent pourtant complètement ces affirmations.
La conciliation a démarré ouverte à tous, mais à la suite d’un plébiscite perdu par l’entreprise, toutes celles et ceux jugé.es susceptibles de s’opposer au futur accord sont exclus. Le processus de dialogue se poursuit ainsi sans les opposants, avant de se conclure par le versement de 28 millions de pesos (37 000 euros) aux familles signataires.
L’accord arraché à une majorité d’habitants est signé au printemps 2016 avec ceux qui en acceptent inconditionnellement les termes. Cet accord ne respecte pas les termes de la Cour Suprême qui exigeait de l’entreprise la dévolution naturelle de l’eau exempte de pollution, pas plus qu’il n’assure les conditions suffisantes de sécurité. Il ne répond pas non plus aux demandes exprimées par la communauté au cours du dialogue. Plusieurs solutions de restitution de l’eau avaient en effet été proposées ainsi que le déplacement des zones à risque, dont l’école. Les mesures proposées par MLP restent très floues quant à la restitution de l’eau et à la mise en sécurité du village, confiant à une entreprise la charge d’assurer la réalisation de travaux futurs.
Quand l’histoire se répète : les victoires juridiques de la communauté de Caimanes caduques suite à une nouvelle conciliation
L’accord a eu pour effet de mettre un terme aux recours présentés par la communauté à l’encontre de MLP. Malgré l'absence de quorum communautaire et le fait que de nombreux habitants aient refusé de le signer, la justice prend mystérieusement acte de cet accord comme d’une résolution à l’amiable pour clore le conflit. Pour la deuxième fois donc, une décision de justice est annulée par une conciliation privée. Un tour de force qui prive les habitants de leurs droits et qui se fait l’amorce d’une nouvelle phase d’expansion de MLP à Caimanes : la conciliation est le pilier sur lequel MLP va asseoir un nouveau projet pour agrandir le réservoir.
Quid de l’État de droit face à ces conciliations érigées en nouveau modèle à suivre ?
Le respect de l'État de droit et des institutions est-il conciliable avec des accords entre privés qui annulent des décisions de justice ? Comment la Cour Suprême a-t-elle pu valider de telles pratiques ? C'est une question qui interpelle au Chili alors que cette pratique entache fortement la crédibilité et surtout la raison d'être de la justice. Quid de l'État de droit s'il est possible d’acheter des décisions de justice qui sont pourtant censées avoir valeur d'exemple et concerner l'ensemble des citoyens ?
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