Une lutte de longue haleine
Depuis le début de l’intervention de Minera Los Pelambres à Caimanes, la résistance s’est organisée dans le village contre un projet jugé mortifère. Malgré des hauts et des bas, des divergences et des réorganisations, depuis 18 ans la lutte des habitants se caractérise par son respect de l’État de droit. Elle persévère dans des actions pacifiques de longue haleine comme une grève de la faim de plus de 80 jours pour exiger au gouvernement de s'intéresser à la situation de Caimanes, des journées d'occupation de la route menant à la mine, un blocage de la route menant au réservoir de déchets qui a duré 75 jours pour simplement exiger le respect des décisions de justice.
Les sentiments qui prédominent sont la douleur face à la perte du territoire et l’impuissance, car les actions pacifiques portées pourtant vers les plus hautes sphères de l’État, n’ont pas réussi à stopper l’activité du réservoir de déchets miniers. La lutte est d’autant plus difficile que les rapports de force sont inégaux, opposant une petite communauté rurale à la plus grosse fortune du Chili.
David contre Goliath
Le groupe Luksic, propriétaire de Minera Los Pelambres, est en effet à la direction de la multinationale Antofagasta Minerals, domiciliée à Londres, propriétaire de la banque du Chili (Banco de Chile), de médias comme la chaîne de télévision chilienne Canal 13, de compagnies de transports, de produits de consommation etc. Plusieurs ministres des gouvernements passés ou actuel ont travaillé pour l’entreprise occasionnant d’inévitables conflits d’intérêts et trafics d’influence.
Les habitants de Caimanes se sont sentis abandonnés par l’État et par les partis politiques, trahis par leurs représentants dans les gouvernements successifs. Ces derniers ont préféré se ranger derrière les arguments économiques et/ou obéir aux pressions de l’entreprise, sans même garantir l’approvisionnement de Caimanes en eau potable sûre, alors même que des analyses avaient démontré la pollution des eaux locales.
En 2012, le comble de ce combat hautement déséquilibré a été l’alliance de l’État (Ministère public) avec l’entreprise lors d’un procès contre les défenseurs du village. Les avocats qui défendaient Caimanes ont été accusés d'association illicite et de tromper leurs clients : ils auraient inventé la pollution des eaux dans le but de soutirer de l’argent à la multinationale. La criminalisation des défenseurs des droits est monnaie courante dans le monde entier. C’est malheureusement une pratique que l’on retrouve dans d’autres conflits opposant communautés et multinationales en particulier en Amérique Latine. A Caimanes, la criminalisation n’a pas donné lieu à des menaces physiques, mais le procès, engagé contre la communauté avec le concours de l’État est une procédure bâillon. Le but est de décourager toute future résistance et ainsi réduire à néant la possibilité pour une communauté de se défendre.
Des actions portées au niveau international
En 2012, des représentants de la communauté de Caimanes se déplacent à Marseille pour participer au Forum Alternatif Mondial de l’Eau. Ils sont venus dénoncer la spoliation et l'empoisonnement de leur eau par l’entreprise. Suite à leur intervention, une lettre ouverte aux autorités chiliennes a été co-signée par 50 organisations pour demander à l'État chilien d'intervenir.
France Libertés - Fondation Danielle Mitterrand a plusieurs fois dénoncé auprès du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU les atteintes aux droits humains des habitants de Caimanes causées par l’activité de Minera Los Pelambres. Elle a notamment dénoncé la privation de l’accès à l'eau, fait qui constitue une violation des droits humains depuis que l'accès à l’eau a été reconnue comme un droit par l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2010. La Fondation dénonce également l’atteinte à la sécurité physique et psychique des habitants de Caimanes et demande à l’État chilien d’assurer l’application du principe Pro Homine en traitant en priorité les demandes des communautés avant celles des entreprises”. Sur la chaine de télévision chilienne TVN, Andrès Moran, directeur des relations publiques de l'entreprise remet en cause la véracité de ces rapports et qualifie d'’irresponsable’ les actions mises en oeuvre par la Fondation pour la défense des droits de la communauté.
Avec l’organisation London Mining Network, qui participe aux assemblées générales de compagnies minières domiciliées à Londres pour porter la voix des communautés affectées, une commission est intervenue le 21 mai 2014 lors de l’AG de Antofagasta Minerals. Il a été expliqué aux actionnaires la mise en danger de la population de Caimanes à cause de l’activité de Minera Los Pelambres (filiale de Antofagasta Minerals). Cette opération d’interpellation a mis en évidence le fait que certains actionnaires semblaient méconnaitre les impacts des actions auxquelles ils participaient par manque d'information de la part de la multinationale (Antofagasta Minerals : actions dangereuses). L'action s'est reproduite les années suivantes. Voir ici l'interview de Patricio Bustamante suite à l'intervention de 2016. Depuis plusieurs années, ce chercheur en archéo-astronomie publie périodiquement une brève relatant les faits qui est diffusée dans la plupart des journaux chiliens indépendants (exemple ici ou ici). Au Chili, le cas de Caimanes suscite l’indignation des citoyens conscients des abus de la multinationale.
Aujourd’hui à Caimanes la résistance continue. L'accord illégal passé en 2015 entre MLP et une partie des habitants de Caimanes a considérablement affaibli le mouvement mais est bien loin de l’avoir éteint, car les raisons de résister demeurent inchangées. De nouvelles demandes juridiques sont en cours.
Par ailleurs, depuis 2016 les communautés des territoires affectés par les projets extractivistes au Chili se retrouvent périodiquement pour analyser collectivement les problèmes et élaborer ensemble des stratégies de résistance. Voir ici des images de la seconde rencontre d'Assemblées et d'Organisations des Territoires qui s'est réalisée à Caimanes en 2016.