De retour en France au milieu de l'été 2019, après 5 mois de mission dans le camp de Samos auprès du Legal Center-Lesbos, Mathilde nous raconte les conséquences des politiques migratoires européennes.
Vendredi 09 août 2019.
L’avion touche le sol.
Réaction physique. Angoisse. Suffocation. Panique. Crise.
Paris – Roissy Charles de Gaulle.
La masse de corps qui s’active autour de moi vient percuter mon cerveau épuisé.
Ces corps tous plus libres les uns que les autres.
Alors que je tente de me frayer un chemin parmi cette masse, les larmes dévalent mon visage.
Les passages de frontières ont été trop faciles.
Samos – Athènes – Prague – Paris.
Tout cela en moins de quinze heures.
Je ne comprends pas.
L’attente interminable sur l’île de Samos, devenue une prison à ciel ouvert, vient s’entrechoquer avec mon trajet trop rapide.
Mon corps a circulé librement ; ma tête est restée enfermée sur l’île.
Samos. Juillet 2019.
Michel Agier définit l’encampement comme le choix politique de mettre en camp. J’ajouterais que c’est la volonté politique d’opprimer et de maltraiter les corps étrangers.
L’encampement ne laisse pas de place à l’intimité.
Il ne laisse pas de place à la nudité, à l’amour, au désir, au plaisir, à la douceur.
L’encampement ne laisse pas de place au corps libre et à la liberté du corps.
L’encampement transforme les corps : il les rend faibles, fragiles, fébriles, sensibles et susceptibles.
L’encampement vide le corps de ses émotions ; il tri les traumatismes et les vulnérabilités.
L’attente tue les douleurs et les plaisirs.
Un jour, alors que je demandais à mon ami Karam pourquoi il ne voulait pas rejoindre les cours de fitness ou aller jouer au foot, il me répondit « à Samos, j’ai oublié mon corps. Mais j’en prendrai soin après. Ici je n’ai pas le temps ».
Mathilde - Volontaire au Legal Center Samos pour Avocats Sans Frontières (ASF) en lien avec Migreurop