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A l’appel de l’Association des travailleurs maghrébins en France (ATMF) et de l’Union juive française pour la paix (UJFP), la 9e mission a regroupé des Français d’origine juive et arabe, dont deux membres de l’association caennaise Trait d’union (17-24 février 2002).
Territoires occupés (Extrait du témoignage de Michèle Sibony, membre de l’UJFP)
« Ces territoires où règne la loi du plus fort, cela terrorise nos consciences d’occidentaux gâtés, formés à l’exercice de droits. On s’y approche du réel dans ce qu’il a de hideux, et contre lequel les hommes ont élaboré de nombreux remparts : éthique, lois, et autres valeurs. Dans ces territoires, ces valeurs disparaissent pour les occupés, et aussi se dissolvent lentement, avec l’usage de l’oppression, chez les occupants…
La première des choses que vit la population palestinienne est la proximité de mille morts : on tire du ciel, de la terre ; à Gaza la mort peut aussi venir de la mer. Elle frappe le passant qui rentre chez lui, l’écolier sur le chemin de l’école, la mère de famille dans sa maison, la femme enceinte bloquée sur un barrage, dans son ambulance. Elle frappe de plus en plus souvent et de plus en plus près.
Il y a ceux qui préfèrent choisir l’heure et le lieu : Tel-Aviv, Jérusalem, le soir, dans un café, mourir et faire mourir. Tous sont considérés, quelle que soit leur mort, choisie ou subie, comme des martyrs. C’est ce que nous appellerions, nous, héros : martyrs de la résistance palestinienne, comme on aurait pu dire sous l’occupation, héros de la Résistance pour désigner aussi bien la victime déportée, ou tuée par un bombardement, que le saboteur d’un train allemand, ou le résistant tombé sous la torture. Un terme générique assumé par tous : tous sont des héros de la résistance à l’occupation…
Et puis, il y a l’effroi, les hélicoptères qui arrivent au-dessus d’un secteur, tournent, s’éloignent, reviennent, tournent encore, des heures, et puis parfois quand on les aurait presque oubliés, on ne sait ni quand ni pourquoi, ils se stabilisent dans l’air, gros bourdons vibrants, et ils tirent.
Les F16 aussi, des rondes dans le ciel, à la tombée de la nuit sur Gaza, des heures, et puis les bombardements.
...C’est comme les barrages : il y en a partout : pour protéger une colonie, pour sécuriser l’accès de Jérusalem, pour isoler Ramallah, pour couper Gaza, pour… Parfois on ne sait plus, la logique achoppe. Et parfois ça circule, parfois ça bloque des heures, parfois c’est totalement fermé, il faut repartir…
… A Gaza, c’est pire. Le barrage de Khan Younes, c’est une route qu’on ferme à la demande des colons. Quand l’un d’eux veut circuler, on ferme tout des heures. Et si « ça bouge » quelque part dans le pays, ce qui est fréquent, bouclage punitif à durée indéterminée.
Après l’attentat sur le check-point de Ramallah et les 6 soldats tués, bombardement de nuit sur Gaza ; le lendemain, fête de l’Aïd, fête religieuse, tout est bouclé. La bande de Gaza est coupée en trois blocs hermétiques par les barrages routiers. Pourtant, c’est fête, demain ; il faut rejoindre sa famille, préparer les repas. Alors les habitants de Gaza-ville prennent le chemin de la plage, véritable scène d’exode, les familles chargées de couffins entourées d’enfants, les femmes en djellabah portant les bébés, les paquets multiformes, en marchant péniblement sur le sable. Une charrette a versé, oranges et tomates flottent sur les vagues. Des ânes tirent des charrues, des tracteurs traînent des remorques, parfois un camion longe l’écume. Une file incroyable de gens qui longent la mer à pied pour continuer : si ce n’est pas de la résistance ! C’est une scène magnifique et terrible, comme dans une tragédie grecque. »
Retour de l’enfer (Extrait du témoignage de Younès, membre du bureau national de l’ATMF)
« C comme CHECK-POINT
S’il ne devait rester qu’un mot de notre périple, ce serait celui-là…
Un check-point est un no man’s land barré à un certain niveau par des blocs de béton et longé par des corridors. Des soldats - toujours jeunes – paradent en jouant les Rambo, surarmés, surexcités, la peur au ventre certainement. Des centaines de voitures, de camions, parfois des ambulances, des adultes, des enfants et même des écoliers. Il ne faut surtout pas prévoir le temps qu’on va y passer (ça dure généralement quelques heures), ni la façon dont ça risque de se passer (très mal parfois, c’est-à-dire se faire arrêter ou se faire tirer dessus). Ici, les militaires décident de l’emploi du temps et des vies des Palestiniens en fonction de leur humeur, des événements, des ordres, et de leur humanité ou de leur absence d’humanité. Et puis, parfois, on décide de fermer sans raison apparente.
Sur ces check-points, les Palestiniens ont appris à être patients, une patience admirable à voir, et qui a le don d’énerver les soldats. Mais il ne faut pas se tromper ! C’est ici que la haine palestinienne est nourrie par des vexations, des humiliations, les dénis du droit élémentaire d’être un homme qui ne plie pas, qui refuse de se mettre à genoux. On y a assisté à des fouilles humiliantes. On y a rencontré des vieillards à qui on refusait le passage alors qu’ils avaient des convocations à l’hôpital en bonne et due forme. On y a vu des jeunes gardés sous le soleil pendant des heures, d’autres ligotés, les yeux bandés, jetés par terre au milieu d’une flaque de sang. Une dernière chose : on peut contourner les check-points mais cela prendra des heures de marche pour un trajet direct de quelques centaines de mètres... ».
« Y comme YASSER ARAFAT
Un président d’une Autorité palestinienne, démocratiquement élu et internationalement reconnu, maintenu en détention par un Etat sans que personne n’y trouve rien à redire. Une rencontre qui comptera dans ma vie. J’étais à mille lieues d’imaginer la tournure des événements. Impressionnant : 50 ans de résistance et de mémoire d’un peuple en lutte, une vie de combat et une simplicité confondante nous contemplaient. Un homme de la trempe des grands révolutionnaires que j’ai tant admirés dans ma jeunesse. Lorsqu’il m’a pris dans ses bras, la terre s’est dérobée sous mes pieds. Il ne voulait plus me lâcher et me disait des mots de consolation et d’encouragement. Le monde à l’envers ! Le protocole nous avait prévenus que le Raïs nous accordait un quart d’heure. Cela a duré 46 minutes tant l’échange a été fraternel, émouvant.
Arafat nous a d’abord parlé de deux rapports récemment remis par deux commissions américaine et hollandaise affirmant que l’armée israélienne utilisait des armes à base d’uranium appauvri contre la population palestinienne. Qui en a entendu parler dans les médias ou de la bouche de nos gouvernants ? Ensuite, il nous a réitéré sa soif de paix, « la paix des braves, sur 22 % de la Palestine historique », en déplorant l’absence de partenaire israélien depuis la mort de Rabin. Enfin, il a tenu à nous dire l’admiration qu’il avait vis-à-vis de notre mission composée de Français d’origine juive et arabe. Après les interventions respectives et émouvantes de nos deux porte-parole, Arafat a tenu à saluer chacun d’entre nous individuellement. Embrassades, étreintes, larmes d’émotion… Ce jeune homme de 73 ans, dont j’avais lu dans Libération deux jours plus tôt, qu’il était malade, fatigué et à bout de course, dégageait une sérénité et une volonté impressionnantes. Son moral était à la hauteur de la résistance de son peuple. Si Sharon a cru qu’il allait l’isoler, il s’est totalement trompé. Pendant l’entrevue, des milliers de jeunes affluaient dans la cour de son QG pour lui rendre visite. Comme tous les jours. »
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