Dans la conduite des politiques migratoires, les Etats prennent souvent des libertés avec leurs engagements, notamment en matière de respect des droits humains. Les associations et les citoyens qui prennent le relais sur le terrain sont de plus en plus critiqués voire poursuivis devant les tribunaux au motif qu’ils favoriseraient l’immigration illégale. Zèle légaliste ou contre-feux politique ?
De l'entrave au discrédit
Partout en Europe, des associations et des citoyens se mobilisent pour venir en aide aux migrants en détresse et pallier aux défaillances de l’Etat. Paradoxalement, cet élan de solidarité fait rarement l’objet d’une fierté nationale. Au contraire ! Les pouvoirs publics se rendent de plus en plus souvent coupables d’entraves à ce type d'actions.
C’est ce que documente le rapport d’enquête « « C’est comme vivre en enfer » Abus policiers à Calais contre les migrants, enfants et adultes », publié par Human Rights Watch, qui rappelle notamment que : « En mars 2017, les autorités locales ont formellement interdit aux associations humanitaires de distribuer de la nourriture, de l’eau, des couvertures et des vêtements aux demandeurs d’asile et aux migrants ».
De l’entrave au discrédit, il n’y a qu’un pas rapidement franchi. Depuis que l’Union européenne et ses membres se sont retirés du sauvetage en mer pour se concentrer sur une mission de surveillance (Opération Triton pilotée par Frontex), ce sont des ONG, comme SOS Méditerranée, qui affrètent des navires pour sauver les migrants en danger de mort.
Or, dans le rapport Blâmer les sauveteurs, Charles Heller et Lorenzo Pezzani, de l’Université de Londres, ont dénoncé « une campagne de délégitimation et de criminalisation » de ces ONG. Elle émanerait de Frontex, de responsables politiques et de médias qui les soupçonnent publiquement de « collusion avec les passeurs ».
Les campagnes de dénigrement sont aussi le fait des mouvements d’extrême droite comme Defend Europe ou Génération Identitaire qui ont organisé en 2017 « une grande mission de sauvetage en Méditerranée, une mission pour sauver l’Europe de l’immigration clandestine ». Comment ? En contrecarrant « les bateaux des ONG qui agissent à l’unisson avec les trafiquants d’êtres humains. »
Le délit de solidarité, mythe ou réalité ?
Même si, à proprement parler, le droit ne définit pas de « délit de solidarité », la multiplication des poursuites judiciaires à l’encontre des personnes venant en aide aux migrants semble suggérer que c'est une pratique bien réelle.
De 1986 à 2016, le Gisti a pu recenser pas moins d’une quarantaine de condamnations au titre de l’Article L 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) qui stipule que « toute personne aidant directement ou indirectement à l’entrée, à la circulation et au séjour des étrangers en situation irrégulière encourt une peine maximale de cinq ans de prison et trente mille euros d’amende ».
Xavier Herrou, paysan de la Vallée de la Roya (Alpes Maritimes), condamné à quatre ans de prison avec sursis, est devenu le symbole de cette désobéissance civile. Mais il est loin d'être le seul...
Tous sont soutenus par la Campagne Délinquants Solidaires qui rassemble toutes celles et tous ceux qui ont décidé de se mobiliser de quelque manière que ce soit parce que « si la solidarité avec les étrangers est un délit, alors nous sommes tous délinquants ».
Le 18 mai 2017, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un avis « Mettre fin au délit de solidarité », en contradiction avec les déclarations des trois derniers ministres de l’Intérieur, de Manuel Valls à Gérard Collomb.
La criminalisation, un contre-feux politique
Il n’est pas tolérable que la France condamne des actes qui font écho au troisième mot de notre devise « Fraternité », et qui sont, de surcroit, une réponse à la défaillance des pouvoirs publics Christine Lazerges, présidente de la CNCDH.
Dans « Le procès politique de la solidarité », une série de quatre textes publiés sur Mediapart, le sociologue Eric Fassin va plus loin :
Pourquoi persécuter la solidarité ? Contre Cédric Herrou, le raisonnement de la justice le manifeste clairement : c’est le militantisme qui est condamné. Il s’agit bien d’un procès politique […] Car avec l’association Roya citoyenne, il donne à voir l’inaction de l’État et l’illégalité de ses actions. S’il est victime d’un procès politique, c’est donc qu’il instruit le procès de la politique migratoire.
Est-ce ainsi qu’il faut aussi interpréter les propos de Gérard Collomb qui déclarait, le 23 juin 2017 : « Aux associations, je leur dirai qu'il y a peut-être d'autres lieux que Calais où elles pourront déployer leur savoir-faire » ?