Afin d’enrayer les flux de migrants, l’Union européenne et ses Etats membres agissent directement dans et avec les pays d’origine pour dissuader les populations de partir. La politique d’aide publique au développement est leur principal levier. N’est-ce pas là un dévoiement de la politique de coopération, qui plus est, basé sur une logique hasardeuse ?
Une Europe généreuse mais pas désintéressée
L’Union européenne et ses Etats membres ne manquent jamais une occasion de rappeler leur générosité à l’égard des pays du Sud.
Je suis fier que l'UE reste le premier donateur au monde d'aide publique au développement, témoignant de notre engagement en faveur des objectifs de développement durable des Nations unies
Neven Mimica, commissaire européen pour la coopération internationale et le développement, le 11 avril 2017, Bruxelles
Les fondements de l’aide publique au développement sont clairement définis par le Traité de Lisbonne (2007) : « L'objectif principal de la politique de l'Union dans [le] domaine [de la coopération au développement] est la réduction et, à terme, l'éradication de la pauvreté. » Mais ces derniers temps, les lignes ont eu tendance à bouger, car, de l’aveu même de la Commission européenne : « La pression migratoire externe est désormais la norme pour l'UE et ses partenaires. »
La politique migratoire vire à l'obsession
Le 7 juin 2016, la Commission a très clairement annoncé, à l’occasion de la présentation de son nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers, que l’aide européenne au développement et les traitements commerciaux préférentiels seraient à l’avenir conditionnés aux efforts que déploieront les pays tiers en matière de lutte contre les migrations, « priorités majeures en matière de relations extérieures ». Elle envisage ainsi « une série de mesures incitatives positives et négatives […] intégrée aux politiques commerciale et de développement de l’UE afin de récompenser les pays désireux de coopérer efficacement avec l’Union en matière de gestion des migrations et de veiller à ce qu’il y ait des conséquences pour ceux qui refusent ».
Qui peut croire à un dialogue équilibré et serein entre l’Union européenne et des pays qui, comme ceux d’Afrique de l’ouest, en sont économiquement dépendants ? La politique migratoire vire à l’obsession chez les dirigeants européens et le marchandage avec les pays du Sud risque fort de prendre des allures de chantage.
Une logique inefficace quand elle n'est pas nocive
Les Etats européens bâtissent leur politique de coopération sur l’idée, loin d’être prouvée, que le développement des pays du Sud va permettre la baisse des flux migratoires.
Financé à 80% par l’aide publique au développement européenne, le Fonds fiduciaire d’urgence en faveur de l’Afrique a été doté par la Commission européenne d’un montant de 1,8 milliard d’euros pour la période 2015-2020. Il doit permettre « de répondre aux causes des déséquilibres, des déplacements de populations et de l’immigration clandestine en favorisant l’égalité des chances, les opportunités économiques, la sécurité et le développement ».
Au classement mondial de l’indice de développement humain (IDH), le Niger est avant-dernier : 187ème sur 188, juste devant la République centrafricaine. Le Fonds fiduciaire d’urgence lui a alloué une enveloppe d’environ 140 millions d’euros répartis comme suit :
- 92 millions d’euros pour assurer une « meilleure gestion de la migration »
- 48 millions d’euros pour « élaborer une stratégie globale pour la stabilité, la sécurité et la résilience » (dont 36 millions pour la « gestion des frontières et la sécurité »)
- Rien pour la satisfaction des besoins fondamentaux (éducation, santé, etc.) de sa population
Là comme ailleurs, les fonds dédiés à la réduction des inégalités, qui sont pourtant reconnues parmi les premières causes des migrations économiques, diminuent donc au profit du renforcement de dispositifs censés lutter contre ces mêmes migrations. Un vrai cercle vicieux !